La lampe Gras, des ateliers aux galeries d’art
Il existe, dans l’histoire du design, de véritables épopées ; des pièces qui ont traversé le temps, fruits d’un savant mélange d’avant-gardisme, d’ingéniosité et de rencontres opportunes qui ont transformé le quotidien et inspiré les plus grands architectes. Créée à destination des ouvriers en mal d’éclairage dans les ateliers bruyants et poussiéreux de la première moitié du XXème siècle, la lampe Gras s’est érigée, au fil des décennies, en véritable icône du design, objet convoité par les collectionneurs du monde entier.
Genèse d’un succès industriel
Une lampe sans vis ni soudure, « vouée à l’humble tâche d’amener la lumière là où elle doit se poser pour faciliter le labeur de l’ouvrier ou du dessinateur dans l’ombre anonyme des ateliers et des bureaux d’étude » écrit Patrick Favardin dans son avant-propos du livre La Lampe Gras de Didier Teissonnière ; c’est ainsi que commence l’histoire de ce luminaire.
Après plusieurs travaux infructueux, Bernard Albin-Gras dépose le brevet de cette lampe articulée à usage industriel le 13 octobre 1921. Véritable innovation pour l’époque, que cet objet-outil à géométrie variable qui joue les contorsionnistes sur son socle parfaitement stable fixé aux établis et tables d’architecte, supportant les vibrations des machines sans jamais se dérégler.
Le brevet, passé de main en main, va permettre au modèle d’évoluer ; l’inventeur Louis-Didier- Théodore Peyrot des Gachons isolera le fil électrique à l’aide d’un tube pour d’avantage de sécurité.
Mais c’est 1927, en s’associant à Jean Ravel, que la lampe Gras prend son véritable envol industriel. Déclinée en plusieurs modèles, le succès est immédiat. La lampe Gras arrive sur les bureaux de la fonction publique et équipe le bloc opératoire du paquebot Île-de-France ; elle sera éditée par la société RAVEL, sans modification majeure, pendant près de cinquante ans, une véritable prouesse dans le milieu.
La lampe des architectes
« De parfaite convenance, parfaitement utiles et d’un luxe véritable qui flatte notre esprit » (Le Corbusier, L’art décoratif d’aujourd’hui), les lampes Gras séduisent rapidement Le Corbusier qui en équipe ses bureaux et ses maisons particulières, et contribuera à faire sortir des ateliers cette lampe initialement conçue pour l’industrie et le secteur tertiaire. De nombreux autres architectes prendront part à ce succès mondial - Robert Mallet-Stevens, Eileen Gray, Michel Roux-Spitz, Sonia Delaunay ou encore Georges Braque.
Une renommée qu’elle doit à ses lignes simples et pleinement fonctionnelles, sans ornement superflu réprouvé par son créateur. Le dessin au service du dessin, essence même du design d’aujourd’hui.
Georges Braque, Paris 1946 Robert Mallet-Stevens, Paris 1927 Sonia Delaunay, Paris 1924
Aujourd’hui, un modèle iconique
Les années 1980 signeront le grand retour de la lampe Gras sur le devant de la scène.
Quelque peu délaissées car moins indispensable dans des ateliers où les machines intègrent désormais leur propre système d’éclairage, ce sont des amoureux de design amateurs qui dépoussièreront le modèle avant que Philippe Starck ne lui donne pleinement ses lettres de noblesse en la faisant entrer dans l’histoire contemporaine de l’architecture d’intérieur à la maison Lemoult.
Le galeriste Didier Tessonnière lui consacre un ouvrage, La Lampe Gras, et sa galerie Teisso, à Paris, où sont présentés les différents modèles de série mais également des prototypes et des modèles beaucoup plus rares.
Première de couverture, La Lampe Gras Photo d'inspiration - Photos @Galerie44
Copiée et recopiées à travers le monde, les lampes Gras sont, de nos jours, rééditées par les éditions DCW qui en ont l’exclusivité, conservant les modèles emblématiques qui ont bâti la légende de ce luminaire.
Quant aux lampes Gras vintage, que nous apprécions particulièrement à la galerie pour leur avant- gardisme, elles font le bonheur des collectionneurs à travers le monde, tout particulièrement en France, au Japon et aux Etats-Unis.
Comme le décrit très bien Didier Teissonnière : « Ce destin inattendu est révélateur du regard nouveau posé sur l’objet. Ce qui importe désormais, c’est sa capacité d’osmose avec les principes de “l’esprit nouveau”. Un objet est vrai, et donc moralement acceptable, si sa beauté formelle est le produit de sa pure fonctionnalité, acquérant ainsi une sorte d’innocence idéologique à l’instar de l’harmonieuse perfection d’un galet recueilli sur une plage. »
Les modèles incontournables
- Modèle 201 semi-fixe, la lampe ajustable pour table à dessin
Catalogue Ravel, 1922 Lampe d'architecte modèle 201 - Photos @Galerie44
- Modèle 205 portatif, la lampe ajustable pour bureaux
Catalogue Ravel, 1922 Lampe modèle 205 - Photos @Galerie44
- Modèle 215 mobile, le lampadaire pour les cliniques et studios
Catalogue Ravel, 1922 Lampadaire modèle 215 - Photos @Galerie44